Le témoignage de François de Soos, pionnier français en agroforesterie

extraits tirés d’une intervention lors d’une journée de formation de « Sol en vie »

1. Histoire du domaine

Je vais me présenter brièvement. Je suis agriculteur au nord de Carcassonne, au pied de la Montagne-Noire, sur le domaine familial de Mazy2 depuis 33 ans. C’est une zone où régnait la monoculture de la vigne. C’est très aride, avec des vents qui balayent la plaine. Il pleut à 10 km à l’ouest de chez nous, il pleut à Narbonne à 50 km plus à l’est mais nous, on voit passer les nuages.

J’ai commencé comme berger avec un troupeau de brebis limousines. Au bout d’une douzaine d’années on avait tellement de problèmes avec les chiens errants qu’on a dû arrêter. Et on s’est posé la question de tout arrêter, finalement le vent a tourné de nouveau vers l’agriculture. C’est à ce moment-là, en 1998, que j’ai fait le pas vers l’agriculture biologique en plantant en amandiers une partie de mes prairies qui servaient aux moutons. C’était une production locale dans la région mais il n’y en avait plus du tout. Au début j’ai commencé à planter des arbres pour lutter contre l’érosion : on avait des orages d’automne très importants. Maintenant ça a un peu changé. Les arbres ont vraiment fait leurs preuves dès le début chez nous. Comme on plantait les arbres dans les champs perpendiculairement à la pente, un bourrelet d’herbe se faisait au milieu des arbres dès les premières années. Les rangées étant à 16 m les unes des autres ; on a vu l’eau de ruissellement s’arrêter pour percoler, descendre et s’emmagasiner dans le sol. C’était vraiment très pratique. A cette époque-là on avait peu de moyens, je n’avais pas fait d’école d’agriculture. Il n’y avait pas d’outils comme internet maintenant pour se renseigner. J’ai eu la chance de rencontrer Pierre Rabhi1, Emilia Hazelip2 et Marc Bonfils3. Ces connaissances m’ont beaucoup apporté. Dans les années 90 j’ai commencé à planter des arbres sur mon domaine qui, à l’époque, faisait 25 hectares. Maintenant il en fait plus de 100. Ce n’est pas par ma volonté mais c’est la folie agricole. Les dernières années, ça a quand même été voulu. Comme je vais prendre ma retraite dans les 5 ans à venir, le but est d’installer plusieurs jeunes pour prendre le relai.

2. Vergers : expérience en monoculture

Au début j’avais fait des vergers conventionnels en amandiers modernes. C’est-à-dire sur le rang, un arbre tous les 5 m, et 7 m entre les rangs. Il y avait 300 arbres à l’hectare. J’ai eu la maladie du chancre à fusicoccum qui s’est installée un peu plus tard que chez les gens qui n’étaient pas en bio. Lorsque j’ai démarré l’agroforesterie, il y a 20 ans, j’ai planté la dernière commande d’amandiers de pépinière en agroforesterie à 16 m. On est passé de 300 arbres à l’hectare à 100 arbres à l’hectare – même pas 100 arbres : 80 parce qu’il y avait des féviers d’Amérique intercalés. Quand c’est rentré en production, je me suis rendu compte qu’avec 80 arbres à l’hectare, j’avais le même rendement à l’hectare que sur les autres où il y en avait 300, mais j’avais une céréale dessous ou une luzerne. C’est ça qui fait la différence. La maladie s’est aussi installée sur ces arbres au bout de 12 ans au lieu de 8 ans. Ce qui voulait dire pour moi que le système de la monoculture est très pervers et que dès qu’un arbre, même sensible, se retrouve avec d’autres environnements, il résiste beaucoup mieux aux maladies. Ça fait maintenant 10 ou 12 ans qu’on l’a constaté, et on continue de le voir. Au début je n’étais pas conscient comme maintenant de l’importance de la biodiversité. Par exemple, j’avais des vergers uniquement d’amandiers. Mais tous les 5 arbres déjà je mettais un février d’Amérique4 (Gleditsia triacanthos L.). C’était une expérience de Marc Bonfils qui avait relaté ça en Australie et en Nouvelle Zélande il y a 30 ans.

3. Agroforesterie : quel « système » ?

3.1. La forêt

On s’aperçoit que dans un écosystème pas trop perturbé il y a plus d’échanges et de coopérations « conviviales » que de concurrence et d’effets dépressifs. Ce qui m’a amené de plus en plus à l’agroforesterie, c’est le système naturel en Europe : la forêt. Une forêt ça fonctionne tout seul, ça produit énormément, ça supporte un prélèvement et peut supporter l’intervention de l’homme dans une certaine mesure. Donc il vaut mieux imiter le plus qu’on peut le fonctionnement de la nature plutôt que de s’en éloigner.

3.2. La restitution du bois

Dans les parcelles où j’ai de l’agroforesterie, quand ce ne sont pas des arbres fruitiers, il faut élaguer chaque année. Le produit de cet élagage est broyé pour faire un mélange et on le restitue sur place. Ce n’est pas vraiment du BRF (Bois Raméal Fragmenté) parce qu’on n’a pas de broyeur, mais on fait des andains ou-bien on prend les tailles des amandiers et on passe le gyrobroyeur. Ce sont de gros éclats qui sont quand même digérés par le sol. C’est du branchage déchiqueté que l’on incorpore au sol.

3.3. La fixation d’azote

Pour la fixation de l’azote, on a fait pas mal d’expériences. Au début je mettais par exemple un févier d’Amérique tous les 5 amandiers : je pense que ça n’a aucune influence parce que c’est trop léger. Dans les systèmes paysans anciens, comme en Afrique ou aux jardins du Kerala, ils ont énormément d’arbres fixateurs d’azote à plusieurs étages, et ça fertilise les cultures qui sont dessous.

3.4. La biodiversité dans les arbres et les bandes enherbées

Puisqu’il y a, sur le rang d’arbre, cette bande qu’on ne cultive plus, on est obligé de passer la débroussailleuse un an sur deux pour ne pas se laisser gagner par les ronces. Les vivaces peuvent s’y installer. On constate que le gibier aime s’y reproduire . Les perdreaux rouges, par exemple, qui avaient presque disparu, sont revenus en masse. Beaucoup d’oiseaux réapparaissent. Certaines essences d’arbres permettent de développer une biodiversité d’insectes auxiliaires dans la mesure où ceux-ci ont de quoi nicher. Certains arbres, comme le paulownia tomentosa5, ont dans les feuilles de petits poils comme du velours, dits « tomenteux », et les insectes y nichent. Ils y font leur ponte, au printemps ça éclot, et dans d’autres buissons ils trouvent leur nourriture. Dans ce cas-là, ils peuvent vous aider à neutraliser les prédateurs dans la vigne d’à côté ou dans la culture qui est dessous.

3.5. Le Paysage

Un autre aspect évident est le paysage : quand on a des arbres dans les cultures ça change tout ! Chez nous on est habitué : ils ont arraché tous les arbres ! Mais autrefois, dans les vignes, il y avait des arbres, des amandiers sauvages qui faisaient des amandes amères. Quand ça fleurissait rose c’était splendide, mais il n’y en a presque plus. J’espère que les arbres dans la vigne nous permettrons de mieux vendre le vin dans quelques années et faire une cuvée agroforestière.

agroforesterie verger elevage

4. Les associations

Il y a sûrement beaucoup de coopérations à découvrir entre l’arbre et la culture. Au début j’étais parti sur très peu de variétés d’arbres. J’avais de l’amandier intercalé avec des féviers d’Amérique, de temps en temps avec des figuiers. C’était très pauvre. Maintenant, par exemple, on a planté entre huit et dix espèces d’arbres différentes.

4.1. Arbres fruitiers et poules pondeuses

En 2010, on a fait une nouvelle expérience, beaucoup plus intensive, sur une parcelle agroforestière, en doublant les rangs d’arbres existants qui étaient à 16 m. Il reste donc 8 m d’espace pour faire de la culture. La plupart sont des arbres fruitiers. Dans cette parcelle il y aura des pommiers, quelques pistachiers qui ont commencé à produire cette année, beaucoup de plaqueminiers (l’arbre qui fait les kakis), parce que chez nous ça vient très bien et il y a beaucoup d’espèces. Cette parcelle a été plantée comme ça en la doublant dans le but d’élever des poules pondeuses sous les arbres. Donc, petit à petit, la partie qui est cultivée en céréales va passer en prairie, et il y aura tous ces arbres qui vont fournir des fruits. Une partie des fruits nous servirà la vente et le surplus servira à la volaille qui trouve déjà une bonne partie de sa nourriture lorsqu’elle est lâchée tous les jours sur la parcelle, avec beaucoup de confort à l’ombre.

4.2. Arbres fruitiers et vigne

agroforesterie vigne

On avait une parcelle agroforestière avec des céréales. Il me restait un hectare soixante de droit de plantation en vigne, que j’ai décidé de planter dans cette parcelle. Comme les rangs étaient à 16 m, on a planté 5 rangées de vigne entre les arbres. La première rangée de vigne était à 3 m des arbres, les autres à 2,50 m les unes des autres. En principe il ne faut pas faire ça, il faut toujours planter les arbres en même temps que la vigne. J’avais des moyens géométriques pas très réguliers et je me suis aperçu en plantant la vigne qu’en démarrant à 3 m on arrivait en bout de rangée à 1,90 m. Avec mon tracteur agricole je ne passais plus, et il faut maintenant tout faire à la main. Donc il faut planter en même temps la vigne et les arbres. La vigne produit depuis trois ans. Pour le moment nous n’avons eu aucune incompatibilité sauf qu’il faut élaguer les branches pour ne pas abîmer la cabine du tracteur. Cela pose-t-il des problèmes pour l’ensoleillement ? Pour le moment la production est plus forte que dans mes autres vignes. C’est une vigne très vigoureuse. Les seuls pieds de vigne morts sont ceux que j’ai arrachés parce qu’il n’y avait pas assez de place entre les rangs pour passer. Ce dont je vous parle c’est une agroforesterie paysanne et fruitière, parce que chez nous, dans le Minervois, on ne peut pas faire de bois d’œuvre.

4.3. Arbres de bois d’œuvre ou précieux

A Montpellier, sur le domaine expérimental de l’INRA, ils font de l’agroforesterie uniquement pour du bois d’œuvre et du bois précieux, pour améliorer le revenu de l’agriculteur. Ça ne va que dans ce sens-là : c’est surtout le point de vue économique que les chercheurs visent à dévoiler à Restinclière pour montrer que le revenu de l’agriculteur s’en trouve amélioré. Les effets sous-jacents des synergies que je retrouve à Mazy sont moins notés. Ils ont essayé 80 essences en polyculture mais, en vigne, beaucoup moins (ils ont 20 hectares de vigne avec des arbres). Ils ont essayé les extrêmes, par exemple le pin pignon pour son effet dépressif sur la vigne car il acidifie le sol et a des racines traçantes qui vont concurrencer la vigne. Nous n’avons pas compris ces expériences de l’INRA mais on pense qu’ils voulaient montrer les extrêmes des choses à ne pas faire. Voir jusqu’à quelles limites ça pouvait aller dans le mauvais sens.

4.4. Agroforesterie et céréales en conventionnel

Des expériences d’agroforesterie ont été faites qui ne sont pas en bio mais c’est très intéressant quand même parce qu’on s’est aperçu que, dans les systèmes agroforestiers qui utilisent des engrais chimiques, par exemple à 16 m d’intervalle, les racines des deux rangées d’arbres vont se rejoindre sous le sol, sous la culture de blé par exemple. Elles font 8 m de long de chaque côté, à une profondeur de 2,50 m sous la culture, et tous les engrais chimiques qui iraient polluer la nappe phréatique sont récupérés par les arbres. Ils ont des arbres qui poussent 20 à 30% plus réguliers et plus vite que dans une forêt entretenue et travaillée, et qui font de bons fûts de bois d’œuvre.

5. Conclusion

Je peux rajouter que, pour moi, l’arbre devrait avoir une plus grande importance dans l’agriculture mais aussi dans les familles qui ont un jardin Je pense qu’il va prendre de plus en plus d’importance,_suite aux changements climatiques et à la diminution des ressources d’énergies fossiles dans l’agriculture qui sont de très gros problèmes que peu de gens envisagent à l’heure actuelle. Je vois que moi, dans quelques années, je ne pourrai pas cultiver des surfaces comme je l’ai fait en céréales, et donc on envisage de petits troupeaux, avec des arbres un peu partout, qui pourront se nourrir sur place avec les résidus des arbres qui ne vont pas servir à l’alimentation humaine. Quand vous avez un arbre de la plantation à la récolte, vous pouvez tout faire à la main. C’est ce qu’il faut faire. Et si vous avez une famille et un jardin, n’hésitez pas à planter des arbres ! Et dans les villes c’est pareil !